Le mois dernier, nous avions eu droit au tour de passe-passe
consistant à faire disparaitre 30 millions d’Euros des caisses du FIPHFP
(Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction
Publique) pour les faire réapparaitre sous la forme de vigiles à
l’entrée des universités.
Ce mois-ci, c’est un numéro de grande illusion que nous jouent la
ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la
recherche et le secrétaire d’état chargé de l’enseignement supérieur et
de la recherche : « Déroulé du master et droit à la poursuite d’études :
un accord historique ! ».
Pour obtenir un accord historique : la recette !
Il suffit de regarder rapidement la liste des signataires de l’accord
pour s’apercevoir que, contrairement à ce qu’affirme la ministre,
toutes les organisations représentatives n’apparaissent pas. La
Fédération des syndicats SUD Education n’a jamais été reçue par le
ministère sur cette question. Notre position sur la sélection à
l’université, affichée en mai dernier , nous a-t-elle écartés d’emblée
des discussions… ?(1)
Auquel cas, il aurait été plus honnête de préciser dans les détails
de la méthode de négociation que seules les organisations
représentatives et susceptibles d’être d’accord avec le projet sont
invitées. Si la ministre trouve cette méthode efficace, nous avons
beaucoup de mal à partager son enthousiasme quant à l’avenir et au choix
de la voie de ce qui peut fonctionner.
La grande illusion !
Cet accord en vue de la réforme du cursus conduisant au diplôme national de master est un numéro de grande illusion.
Pour rappel : Suite à la réforme LMD, la loi Fioraso prévoyait de
modifier l’accès en 2ème cycle (master). Mais le décret n’est jamais
paru.
Dans le flou juridique, certaines universités sélectionnaient à
l’entrée du master (M1), d’autres lors du passage en 2ème année de
master (M2). Des étudiant-e-s, non sélectionné-e-s en M1 ou M2, ont
déposé des recours et le Conseil d’État leur a donné raison. La
Conférence des Président-e-s d’Université (CPU) qui prône sans cesse
l’excellence, s’est émue de ce jugement. Elle souhaitait « la mise en
place d’une orientation renforcée et d’une possibilité de sélection dès
l’entrée dans le cycle master ».
Au printemps dernier, pour couvrir juridiquement les établissements
et ainsi « sécuriser » la rentrée 2016, le ministère a arrêté par décret
une liste de 1300 mentions de master sur 3040 (soit 42% du total des
masters) qui peuvent sélectionner entre le M1 et le M2.
Au Conseil National de l’Enseignement Supérieur Et de la Recherche
(CNESER) du 18 avril 2016 (consultatif), ce projet de décret a recueilli
19 voix pour, 27 contre et 29 abstentions. Il est en vigueur depuis la
rentrée 2016.
Cette solution, conçue pour être temporaire, voit, aujourd’hui, au
travers de l’accord « historique » sur le déroulé du master poindre une
solution plus définitive mais toute aussi néfaste. Remède de charlatan,
cet accord n’a donc pour objectif que de légitimer la sélection à
l’Université pour offrir une couverture juridique aux établissements qui
la pratiquaient jusqu’alors en toute illégalité.
Hormis le fait que l’accord reconnait, en toute logique, que le
diplôme national de master est un bloc de 4 semestres et qu’il est
inadmissible qu’il y ait une sélection en milieu de cycle, nous ne
voyons aucune avancée significative en termes de démocratisation de
l’accès à l’Enseignement Supérieur. Pire, nous pensons qu’un tel projet
ne peut que conduire à l’aggravation d’une situation déjà fortement
dégradée et à l’amplification des inégalités sociales dans la droite
ligne du constat fait par le CNESCO sur l’école dans son rapport
scientifique de septembre 2016.(3)
Une sélection qui ne dit pas son nom
Le « processus de recrutement » à l’entrée du master n’est rien
d’autre que la possibilité donnée aux universités de sélectionner
« leurs » étudiant-e-s. Répondant aux vœux élitistes de la CPU, les
établissements pourront ainsi, sous prétexte de capacités d’accueil
limitées, créer des voies royales pour les un-e-s et des voies de garage
pour les autres, des masters « d’excellence » pour les un-e-s et des
masters « poubelle » pour les autres.
Sud Education s’est clairement prononcé contre toute sélection y compris en Master.
Rappelons simplement cette notion élémentaire que l’obtention d’un
diplôme atteste de la capacité des étudiant-e-s à poursuivre des études.
Le Master est donc une suite logique de la Licence
Si les capacités d’accueil de certaines formations de Master ne sont
pas suffisantes, c’est au service public de l’Enseignement Supérieur et
de la Recherche de se donner les moyens d’assurer ses missions et
d’assumer son ambition « de porter à 60% d’une classe d’âge contre 42%
aujourd’hui la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur d’ici
2025 (50% en Licence et 25% en Master), et de porter à 20 000 par an le
nombre de doctorats délivrés »(4). Or en 2015, les universités reçoivent
195 000 étudiants de plus qu’en 2009 et dans le même temps, 7150
emplois titulaires ont été supprimés.
A contrario de cette sélection inique qui ne veut en rien améliorer
l’enseignement mais seulement distinguer ceux-celles qui possèdent ce
capital d’être « bien né-e-s », la solution passe par :
- la réaffirmation de la mission de l’université :
la création et la diffusion des connaissances ainsi que leur critique,
la recherche et l’enseignement par la recherche, l’ouverture à tous et
toutes sans sélection, y compris aux personnes en reprise d’étude, dans
un service public et gratuit ;
- la
recherche des causes du problème en passant par l’évaluation les
conséquences des réformes du système éducatif de la maternelle à
l’université sur les dernières décennies.
Le droit à la poursuite des études… pour faire passer la pilule !
Le projet prévoit de créer un « droit à la poursuite des études » .
Lorsqu’un-e étudiant-e (titulaire du diplôme national de licence) n’aura
reçu aucune proposition d’admission en réponse à ses candidatures à
l’inscription dans un master, il ou elle pourra faire valoir son droit à
la poursuite d’études. Ce droit peut être immédiat (l’année
universitaire suivant celle où il a validé sa licence) ou différé (il
conviendra cependant d’articuler ce droit différé avec la durée de la
VAE).
L’application de ce droit sera à la charge du recteur de la région
académique concernée (là où l’étudiant-e a validé sa licence) selon des
modalités précisées dans un texte réglementaire (décret).
Le ou la recteur/trice devra lui faire trois propositions après
échange avec les établissements d’enseignement supérieur accrédités en
vue de la délivrance du diplôme national de master (universités et
grandes écoles) de la région et éventuellement en accord avec les
recteurs/trices des autres régions académiques.
Cette liste de propositions devra tenir compte de l’offre de
formation existante, des capacités d’accueil, du projet professionnel de
l’étudiant, de l’établissement où l’étudiant-e a obtenu sa licence et
des pré-requis des formations.(5)
Ce droit n’est assorti d’aucune réelle garantie quant au fait que les
propositions faites soient effectivement en lien avec le cursus de
licence et le projet personnel de l’étudiant-e. Il ne prévoit pas non
plus de dispositif d’accompagnement clair en cas de mobilité
géographique autre qu’une bourse/prime d’installation.
Sans un minimum de garantie ce droit n’est qu’un pis-aller pouvant
conduire les étudiant-e-s titulaires d’un diplôme national de Licence à
renoncer à poursuivre dans l’une des trois propositions faites par le
recteur d’académie si celles-ci sont totalement farfelues ou si elles
demandent un investissement financier insoutenable.
SUD Education se félicite donc de ne pas apparaitre parmi les
signataires de cet « accord historique » mais regrette de n’avoir pas
pu exprimer, auprès du ministère, son point de vue sur la question en
temps utile.
Depuis des années, l’université s’écarte de ses missions premières
pour s’inscrire dans une logique d’adaptation aux nécessités
économiques. Les politiques appellent cela : excellence !
Au même titre que nous dénonçons l’excellence
scientifique dans sa forme actuelle, nous dénonçons l’excellence des
formations dans sa logique concurrentielle et pathogène pour les
étudiant-e-s et les enseignant-e-s.